août 11, 2025

Scolarisation en zone de crise humanitaire : sur la trace des conquérants du savoir

Le département du Logone-et-Chari dans la région de l’Extrême-Nord au Cameroun est confronté à l’insécurité de la secte islamiste Boko Haram et aux changements climatiques imprévisibles. Coupés des salles de classe, les enfants, et surtout les petites filles, en paient le prix fort. Diverses stratégies sont déployées pour raviver la flamme du savoir.

Pas moins de 44°C à l’ombre ce lundi 12 mai 2025 à Makary. La localité située à 96 km de Kousseri, chef-lieu du département du Logone-et-Chari, région de l’Extrême-Nord au Cameroun, semble plutôt calme ce jour. Hadja Kali, institutrice et monitrice au Centre du Programme d’éducation accélérée (PEA) de Makary, bataille face au sommeil et à la fatigue de ses élèves à 12h. Mieux, elle doit en même temps calmer son bébé attaché à son dos, pour dispenser une leçon sur l’orthographe de « à », la préposition, et « a », la troisième personne du verbe avoir conjugué à l’indicatif présent. Face à Hadja Kali, 12 enfants présents ce lundi. C’est du moins ce qu’affiche le tableau des effectifs actualisé à la craie sur le tableau noir de la classe. Bien loin des 45 attendus. Ce n’est pas une classe comme les autres. Encore moins une école comme les autres.

Il y a face à Hadja Kali, des enfants d’âges différents, mais surtout de profils différents. Certains viennent de familles vivant à Makary. D’autres sont des réfugiés ou des déplacés internes. La classe qu’ils occupent s’appelle d’ailleurs « Cohorte 2 B ». Elle regroupe à la fois les niveaux 2 et 3 du système formel de l’école primaire. En français facile, les apprentissages dispensés correspondent à la fois à ceux des Cours élémentaires première (CE1) et deuxième année (CE2). Ce système est implémenté depuis cinq ans dans cet établissement pour permettre aux enfants déplacés, réfugiés ou coupés de l’école du fait des conflits sécuritaires ou de crises humanitaires de tous ordres, de retrouver le chemin de l’école.

Nouveau souffle

L’établissement que ces élèves fréquentent est tout aussi spécial. Il s’agit d’un centre érigé pour les enfants déscolarisés du fait de la crise humanitaire qui sévit dans la zone. C’est l’un des centres de Programme d’éducation accélérée (PEA) érigé dans la zone pour permettre aux enfants victimes de ne pas s’éloigner du chemin de l’école. « Ils ont eu des problèmes, puis les inondations. En plus, les combattants de Boko Haram les ont traumatisés, ainsi que leurs familles. Ils ont eu trop de chocs. Vraiment, ce n’est pas facile pour ces enfants », relève Hadja Kali. Il a été ouvert spécialement pour répondre aux besoins des enfants dans cette situation. Personne d’entre eux ne paie un radis pour y suivre des cours. Titulaire d’un Certificat d’aptitude pédagogique des instituteurs des écoles maternelles et primaires (Capiemp), l’enseignante dispense des cours ici depuis l’ouverture du centre en 2020 et voit le changement. « Ces enfants savaient déjà faire certaines choses avant d’arriver ici. On leur apprend encore à lire, à écrire et à compter », assure l’enseignante.

C’est la mission principale de ces centres érigés dans quelques localités du département du Logone-et-Chari par l’organisation Plan International Cameroon. Makary a servi de centre pilote. Ce n’était pas un hasard. La localité située à proximité du Nigeria est encore considérée comme une « zone rouge ». Des assaillants de Boko Haram continuent d’y mener des assauts. A défaut de fuir, la population est devenue familière des coups de feu nocturnes. Mais les forces de l’ordre veillent également. A côté, l’éducation des enfants reste un challenge. En Cohorte 3, Gambo Magadji, 13 ans, se mêle bien à ses camarades. D’une timidité saisissante face aux caméras des journalistes, le bout d’homme se voit policier dans quelques années. Il parle à la fois l’anglais et le français. « Je viens du Nigeria et je vis ici avec ma grand-mère », dit-il. Et ses parents alors ? Regard baissé quand la question lui est posée. Ernestine Dero, sa camarade de classe, n’a pas peur de dire qu’ils sont décédés. « Je viens de Blamé. Je suis dans cette école depuis 2023. Je vivais avec ma grand-mère, mais ma tante m’a adoptée. Elle m’a inscrite dans cette école quand elle l’a découverte », dit celle qui rêve de devenir aide-soignante. Sa principale source d’inspiration et de motivation, ce sont les deux institutrices qui tiennent cette classe de 78 apprenants.

Logone-Birni : le fief des « retournés »

A Logone-Birni, c’est une autre affaire. Situé à environ 40 kilomètres de Kousseri, le chef-lieu du département du Logone-et-Chari, cette localité est la deuxième à bénéficier d’un centre de programme d’éducation accélérée. L’arrondissement a permis d’insérer plus de 500 enfants dans le système éducatif formel. De ce côté, il y a davantage les « retournés ». Ce sont des élèves qui étaient déjà sur les bancs de l’école et ont dû le quitter du fait de la crise sécuritaire ou climatique. Aujourd’hui, l’Etat, les communautés locales et les partenaires internationaux travaillent à les faire revenir dans les salles de classe. Pour le dernier concours d’entrée en sixième et en première année technique le 13 mai 2025, le Logone-Birni a présenté un total de 617 candidats pour quatre sous-centres d’examen : lycée de Logone-Birni, lycée technique de Logone Birni, CES de Kidam, CES de Zimadoum. A en croire Chérif Assana, inspecteur d’arrondissement de l’éducation de base de Logone-Birni, « Plan International a beaucoup intervenu pour les enfants déplacés ou retournés. Il a payé la scolarité de beaucoup de ces élèves qui n’ont pas toujours un appui. »

De ce côté, les parents sont mis à contribution pour faire revenir les enfants, et particulièrement les petites filles à l’école. Celles qui y retournent optent souvent pour des spécialités pratiques afin de générer au plus vite des revenus. Suzanne Tikamda, 13 ans, en fait partie. Bonnet noir sur la tête, dans son uniforme de couleur orange, la petite fille espère une entrée brillante dans la spécialité Economie sociale et familiale après le concours d’entrée en 1ere année technique. Suzanne Tikamda est surtout une miraculée du système éducatif dans cette localité. Arrivée au Centre PEA en 2022 dans la cohorte 2, elle s’imagine, dans quelques années, policier, médecin et ministre.

La diversité est devenue une seconde nature ici. Surtout que les conflits inter-communautaires tendent à renforcer les clivages, autant que l’insécurité créée par Boko-Haram. « Nous avons principalement des déplacés et des retournés ici à Logone Birni. Grâce au soutien de Plan International, les kits scolaires et les frais d’examen de ces enfants ont été payés. Ils composent en toute sérénité », assure Chérif Assana, inspecteur d’arrondissement de l’éducation de base de Logone-Birni. La même diversité est visible dans le secondaire. « Nous avons enregistré 34 candidats du centre de PEA de la ville de Logone-Birni. C’est la deuxième fois que nous accueillons ces enfants. Ils composent tous sur la base des mêmes épreuves que les élèves du système formel. Au regard des résultats, je dirai qu’ils ont un niveau assez acceptable par rapport aux autres », relève Alamine Mahamat, proviseur du Lycée technique.

Mode survie activé

La vie n’aurait pas été si rose sans le centre de trois bâtiments rénovés pour accueillir ces enfants depuis 2022. A Logone-Birni, les principaux bénéficiaires viennent des communautés hôtes ou du Tchad voisin. Déstabilisés par les conflits inter-communautaires ou la situation sécuritaire et climatique, nombre de parents ont été contraints de partir à un moment. Abandonnant pour beaucoup maisons et activités génératrices de revenus. A leur retour, la vie n’était plus la même. Et souvent, l’école n’est plus leur priorité. C’est là qu’interviennent les mobilisateurs communautaires. Âgé de 29 ans, Mamadou Youssouf s’adonne à cette activité volontaire depuis trois ans. « Après mon baccalauréat, j’ai trouvé ce travail qui a du sens pour moi. C’est plus exaltant d’aider mes cadets à revenir à l’école. Parce que l’école offre toujours plus de chances que le fait de rester enfermé à la maison », dit-il, au détour d’une de ses descentes dans les familles.

Ces initiatives ne sont pas vaines. Trois ans après le lancement du programme à Logone-Birni, des enfants font déjà la fierté de l’école. Du haut de ses 15 ans, Asta Maïrou se sent planer sur son établissement aujourd’hui. « Je suis la plus intelligente de mon lycée avec 15 de moyenne. Si j’étudie bien, je pourrais devenir infirmière ou alors commerçante », clame-t-elle. Inscrite en classe de 3e année, spécialité Economie sociale et familiale au Lycée technique de Logone-Birni, la jeune fille est un exemple que le centre de PEA brandit à souhait. Un produit dont les moniteurs sont fiers, au regard du parcours de celle qui a failli ne pas achever son cycle primaire. Après un an à la maison, elle sera inscrite dans cette école en 2022 et ne va plus jamais arrêter sa course jusqu’à réussir au concours d’entrée au Lycée technique. Dominique Zamsia, 15 ans, a plutôt choisi l’enseignement général. De père Tchadien et de mère camerounaise, le bout d’homme considère que le centre de PEA lui a sauvé la vie. « Mes parents sont venus ici parce qu’on n’avait plus de maison à cause des inondations. Puis, les personnes venant du PEA sont arrivées chez nous. Ma mère m’a demandé d’y aller parce qu’il n’y avait pas de moyen pour payer mon école. Ici au moins, j’ai eu tout le nécessaire, jusqu’à ma tenue de classe. J’ai passé deux ans ici et j’ai eu la chance d’obtenir le Certificat d’études primaires et le concours d’entrée en 6e », raconte-t-il.

Pour le centre PEA de Makary, le plus gros défi est de faire entrer ces enfants dans le système éducatif formel à travers le concours d’entrée en sixième ou en première année technique. La formation est organisée pour durer trois ans à travers trois cohortes pour les enfants aptes à valider les apprentissages dans ce laps. Dès la fin de cette année scolaire, le centre ne pourra plus bénéficier du soutien financier du service de la Commission européenne à la protection civile et aux opérations d’aide humanitaire (ECHO) pour soutenir ces formations. L’école doit pourtant continuer d’exister. L’association des parents d’élèves et des enseignants (APEE) est mise à contribution. Surtout pour le paiement des salaires des enseignants. « Les enfants viennent rarement à l’école parce qu’ils ont appris que le bailleur de fonds est parti. Nous prenons sur nous de mobiliser les parents et ces enfants pour qu’ils reviennent régulièrement à l’école. Nous nous battons à payer les enseignants avec nos modestes revenus », indique Abdoulaye Alhadji, président de l’APEE du centre PEA de Makary.

La force de la communauté

A côté, les relais communautaires sont mis à contribution. Ce sont des femmes et des hommes qui parcourent les maisons, les quartiers par le biais des chefs de quartiers, pour sensibiliser les parents et conduire les enfants vers ces établissements. Au fil des années, le nombre d’inscrits s’accroît pourtant. Partis de 175 en 2021, ils sont 294 à avoir rejoint le programme en 2025. Pour un total cumulé de 1086 enfants déplacés, réfugiés ou déscolarisés qui ont bénéficié du programme d’éducation accélérée à Makary. 

Les collectivités territoriales décentralisées et l’Etat prennent aussi le relais. La réflexion est en tout cas engagée au niveau de la mairie. « Ce programme a permis la construction de nombreuses salles de classe à Makary. Ces salles ont servi à contenir non seulement les enfants de Makary, mais aussi ceux venus de différents arrondissements voisins comme Blangoua, Darack et Hila Halifa. A cause de l’insécurité, beaucoup de parents s’y sont retrouvés et tous ces enfants fréquentent dans cette école. Durant cinq ans, ces enfants ont acquis des connaissances qui leur ont permis d’aller dans les autres niveaux supérieurs », indique Abgassi Adoum, maire de la commune de Makary. A Logone-Birni, le maire est tout aussi enthousiaste. « Ces conflits ont également appauvri les parents de nos communautés. C’est ainsi que les enfants se sont retrouvés dans la rue. Ils devenaient déjà un danger. Ce programme a été un soulagement. J’aimerais suivre ces enfants qui sont aujourd’hui dans le secondaire pour voir ceux qui pourront aller dans le supérieur et témoigner qu’ils sont partis d’ici. Dans notre commune, nous avons mis sur pied un comité de réflexion sur la pérennisation des acquis de nos partenaires », relève Brahim Abakar, patron de l’exécutif communal.

Le relèvement semble globalement réel dans ce département, grâce aux centres de PEA. « Le Logone-et-Chari est le dernier en termes de scolarisation dans la région de l’Extrême-Nord. Beaucoup d’enfants ne vont donc pas à l’école. Ce programme spécial est donc adapté à ceux qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école, ou ceux qui ont abandonné et souhaitent y retourner. Ces enfants ont donc déjà perdu au moins trois ans de scolarité. Le PEA répond donc aux besoins de notre localité et a permis de relever le taux de sous-scolarisation. Il a aussi permis à un certain nombre d’enfants de pouvoir reprendre le chemin de l’école et d’aller jusqu’au secondaire. Ces enfants sont d’ailleurs parmi les meilleurs dans le secondaire. Les parents eux non plus ne se découragent pas. Ces dernières années, un travail de sensibilisation intense leur rappelle leur rôle, pour qu’ils ne laissent pas l’avenir de leurs enfants et surtout de leurs filles s’envoler, faute de l’essentiel : le savoir.

Alexandra TCHUILEU N.

Cette publication WanaData a été soutenue par Code for Africa et la Digital Democracy Initiative dans le cadre du projet Digitalise Youth , financé par le Partenariat Européen pour la Démocratie (EPD)

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