Changements climatiques dans l’Extrême-Nord : Nouvelle vie dans le Septentrion
Depuis un an, le climat dicte sa loi en particulier dans le département du Logone-et-Chari, avec des pics de chaleur et des inondations. Les populations, et les femmes en particulier, ont appris à s’adapter.

Octobre 2024-Octobre 2025. Un an déjà que la vie n’est plus la même dans la région de l’Extrême-Nord. Un an déjà que des niveaux records d’inondations ont été enregistrés dans cette partie du Cameroun, faisant de nombreuses victimes sur le plan humain et infrastructurel, mais aussi en termes d’activités agricoles et commerciales. Un an après, le mindset a changé sur place. Le Logone-et-Chari est l’un des départements qui en a payé le plus lourd tribut. Pour cause, sa grande proximité au fleuve Logone qui sort souvent de son lit pour inonder les villages environnants. En plus des pluies intenses. Plusieurs millions de Camerounais y vivent depuis des générations et ne comptent pas bouger. Pour ne plus subir ces effets dévastateurs, les populations revoient leur mode de vie depuis lors. Personne n’est épargné par ces changements climatiques. A ce jour, en plus d l’intervention de l’Etat, plusieurs partenaires au développement se déploient pour parer au plus urgent : la protection des populations.
Survie féminine: mode d’emploi
Les femmes et les enfants constituent une cible prioritaire des activités déployées sur le terrain. Qu’il s’agisse des activités dans lesquelles elles sont engagées ou de la protection de leurs filles, mères et sœurs, la place des femmes n’est plus négligeable dans les localités bénéficiaires des investissements. C’est ainsi que Ruth Assyeng et Clarice Zoulota sont devenues incontournables à Djaragounbou. 18 ans séparent ces deux dames et pourtant, leurs états d’esprit se sont si bien trouvés. Mères de famille dans ce village situé dans l’arrondissement de Logone-Birni dans le département du Logone-et-Chari, région de l’Extrême-Nord, elles font désormais au-delà des prérogatives familiales. Présidente du groupement d’initiatives communes (Gic) Atapadaï, Ruth Assyeng, 43 ans, n’est plus du tout effrayée par l’eau. « Avec les inondations ou la sécheresse, nous souffrons beaucoup. Nous avons construit des diguettes avec les hommes. En plus, nous avons aménagé plusieurs jardins et cultivons des légumes comme le ‘zom’ et les épinards, en plus des céréales comme le sorgho ou le maïs », dit-elle. Venue du Tchad, Ruth Assyeng est installée dans ce village depuis 15 ans. Elle a donc vu l’œuvre du débordement du fleuve sur la communauté.


A ses côtés, Clarice Zoulota, 25 ans, porte quasiment la même détermination. Secrétaire générale du même Gic, elle représente aussi un porte-voix de qualité lors des grands rassemblements. Elle garde d’ailleurs les recommandations phares formulées au terme des ateliers de sensibilisation organisés dans le village par différentes organisations. « Avant, on souffrait beaucoup. Après l’assistance reçue et la sensibilisation, on a appris à s’entraider pour tout faire », se réjouit-elle. En plus de prêter main forte lors du remplissage des sacs pour empêcher les eaux de détruire les habitations, les femmes de ce village prennent des dispositions pour protéger les plus vulnérables et les enfants en cas d’incident. « Maintenant, nous savons quels gestes adopter. Grâce aux séances de sensibilisation sur les violences basées sur le genre, nous savons désormais qu’en cas d’inondation, on doit garder en premier les enfants. Même s’il n’y a pas de maison, nous savons qu’il faut séparer les jeunes filles des jeunes garçons. Au risque d’exposer les filles aux viols. De même, nous gardons les actes de naissance de nos enfants pour ne pas tout perdre », souligne Clarice Zoulota. Cette jeune mère de deux enfants considère que la situation vécue en 2024 a changé quelque chose en elle.
Effort communs, acquis certains
Dans une autre contrée, les dames ont adopté une nouvelle posture face aux affres des inondations. La vie est ainsi transformée pour leurs familles et elles-mêmes. A Kousseri, chef-lieu du département du Logone-et-Chari, Yaïya Achadji Abakar est désormais plus qu’une « Boss Lady ». Une ferme de plus de 100 têtes de poulets à gérer, ce n’est pas donné. Cette membre du Gic « Solidarité » fait partie des gardiennes actives de l’espace de production de poulets « Goliath ». Au quartier Hila Haoussa, la soixantaine de poulets qui vont et viennent dans l’enclos ne passent pas inaperçus. Leur taille gigantesque les distingue des gallinacées de la rue, souvent rabougris. Un changement effectif depuis quelques mois, après la perte des investissements suite aux inondations dans la ville. « Nous avons reçu 117 têtes de poulets. Nous écoulons principalement nos produits dans les marchés de Kousseri ou de Ndjamena au Tchad voisin », indique Yaïya Achadji Abakar. Cet investissement est le fruit d’un projet mis en œuvre par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) pour une production avicole de qualité à travers quatre fermes dans la localité.
Dans la concession, un incubateur est aménagé pour recevoir les œufs et permettre une reproduction rapide de la race. Capacité d’accueil : 527 œufs. Chacun est marqué d’un numéro correspondant à la ferme d’où il vient. Au bout de 21 jours et sous 37,5°C, les œufs éclosent très souvent. Yvette Yampelda, vice-délégué du Gic Taïgué, conduit également leurs œufs de la ferme située au quartier Djambalbar jusqu’à cet incubateur. « Avec l’inondation, nous avons perdu près de 200 poussins. Avec l’appui des ONG, on a bénéficié de ces nouveaux poulets qu’on veut multiplier pour élargir notre production si possible. Cet appui nous a soulagés parce que nous étions vraiment désespérés », relève-t-elle depuis son hangar déplaçable.
Expérience tout aussi positive pour Mina Gambo. Au milieu de son champ de poivron étendu sur 500m2 au quartier Mainani, cet agriculteur se dit fier de n’avoir jamais abandonné. « Avant, je ne savais pas organiser mon champ et l’eau emportait presque tout. Grâce à un accompagnement et aux équipements offerts, je sais où cultiver en fonction des périodes pour ne pas perdre mes plantes », dit-il, tout en arrachant les mauvaises herbes sur certains sillons. Les poivrons déjà suspendus à certains plants pourront atteindre 15 sacs d’ici peu. « Je vends le sac à 3000F quand il y en a et à 40 000F quand tout est rare sur le marché », ajoute-t-il.

Le plus des actions anticipatoires
Une nouvelle vie imposée au lendemain des inondations qui n’ont épargné personne de ce côté. Depuis un an, un projet mis en œuvre par un consortium d’organisations sous la conduite de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) vise à « réduire les besoins humanitaires dans l’Extrême-Nord du Cameroun en renforçant la préparation et l’anticipation des acteurs multi-niveaux face aux chocs, via une approche intégrée sensible aux conflits, au climat et à la protection. » Implémenté pour durer jusqu’en juin 2026 avec le soutien financier du service de la Commission européenne à la protection civile et aux opérations d’aide humanitaire (Echo), le projet permet d’impliquer concrètement les communautés dans leur protection à travers les actions anticipatoires. « Ce projet permet de renforcer les capacités des populations vulnérables en termes de préparation et d’anticipation. Il s’agit spécifiquement de femmes, de filles, de jeunes, de personnes vivant avec un handicap. Pour ce projet, les activités sont axées autour des actions anticipatoires. Il est important d’intervenir avant que le choc ne se produise. Nous utilisons des prévisions hydro-météorologiques qui sont mises à la disposition des communautés pour renforcer la préparation et l’anticipation », relève Léonard Djingui Souga, chef de projet à la FAO, sous-bureau de Kousseri


Sur le terrain, les populations sont impliquées. Autant que les collectivités territoriales décentralisées et diverses administrations publiques à travers les commissions consultatives de préparation et de riposte aux crises. Acquis majeurs à ce jour : plus de 23 000 ménages assistés ; des commissions communales de préparation et de réponses aux crises créées dans cinq communes et redynamisées dans quatre autres ; du matériel de protection, de santé et d’assistance humanitaire mis à disposition dans les dépôts régionaux de Maroua et de Kousseri ; distribution de plus de 7000 kg de semences de sorgho, 1500 kg de semences de maïs et 250 kg de semences de niébé, toutes des variété s améliorées ; sans oublier des équipements agricoles, entre autres.
Alexandra TCHUILEU
Cette publication WanaData a été soutenue par Code for Africa et la Digital Democracy Initiative dans le cadre du projet Digitalise Youth , financé par le Partenariat Européen pour la Démocratie (EPD).