septembre 12, 2025

Lutte contre la désinformation : des initiatives à la pelle pour contrer le faux

Face à la montée des fausses nouvelles, le Cameroun a vu naître une dizaine de projets pour contrer le phénomène. L’élection présidentielle de 2018 et la pandémie de coronavirus de 2020 apparaissent comme des déclencheurs clés.

12 octobre 2025, date retenue pour l’élection présidentielle au Cameroun. Avant d’y parvenir, il y a de la manipulation dans l’air. Le vrai et le faux se côtoient en permanence. Et pas seulement lors des meetings politiques. Les réseaux sociaux sont un terreau fertile de l’intox, du flou et des manipulations de toutes sortes. Sur les questions démocratiques, le soupçon grandit auprès des citoyens. Le contrat entre Etat et citoyens est plus que jamais fragilisé par ce phénomène. Quand ce n’est l’envoi immédiat à la dérive pour ceux qui se laissent conduire par ces fausses informations. Dans la 19e édition de son Rapport global sur les risques publié en 2024, le Forum économique mondial relève que la désinformation et la mésinformation générées par l’Intelligence artificielle (IA) représentent à 53% un facteur de risque pouvant entraîner une crise mondiale. La période électorale fait figure de moment privilégié par diverses officines pour diffuser de fausses informations et de rumeurs de tout genre, avec désormais l’appui de l’IA. Les citoyens sont en permanence la cible des fausses pistes. Depuis quelques années, des initiatives se multiplient pour barrer la voie à la désinformation ambiante. Plus encore après les expériences de l’élection présidentielle de 2018 avec son lot de manipulations, ainsi que la pandémie de Covid-19 qui a vu un déferlement de rumeurs et de faits erronés entre 2020 et 2021.

Au Cameroun, une quinzaine d’initiatives autant de la société civile, des partenaires au développement que des institutions publiques sont déployées pour barrer la voie aux fausses nouvelles. Tour d’horizon de l’existant et fruits de la moisson depuis bientôt 10 ans.

Médias « alertes »

En position de leader du fact-checking au Cameroun, le site Stopblablacam voit le jour en juillet 2016. Edité par la société Straline qui accompagne les autorités camerounaises dans la mise en œuvre de leur politique publique d’information et de communication, Stopblablacam produit au départ du contenu exclusivement dédié au fact-checking. Aujourd’hui, le contenu est plus diversifié et comprend les sujets d’intérêt général et est segmenté comme un site d’informations générales. Le fact-checking constitue une rubrique du site où les articles de vérification continuent d’être publiés. Dans le paysage médiatique, survient ensuite en 2018 Stopintox. Le site est consacré au fact-checking à sa création. Dédié uniquement à la vérification des déclarations d’hommes politiques, mais aussi des situations qui se vivent dans différents environnements, ce site diversifie également ses contenus aujourd’hui.

Dans le même couloir, Datacameroon se propose de fournir uniquement des éléments factuels sur des sujets divers. Priorité au datajournalisme à sa création en 2017 par l’Association pour le Développement intégré et la Solidarité interactive (Adisi-Cameroun), même s’il dédie rapidement une rubrique au fact-checking sur sa plateforme. Il s’agit donc d’un site qui promeut l’accès à l’information en utilisant la vérification des faits et le journalisme de données.

Le segment des sites dédiés à la vérification des faits s’est enrichi d’une autre plateforme en 2021. En effet, 237check se positionne depuis lors comme la plateforme de vérification de faits qui s’efforce de contrer la désinformation et les fausses informations au Cameroun. Ambition similaire pour DataCheck, plateforme mise en ligne en 2024 par Adisi-Cameroun. En plus du site www.data-cameroon.org, Adisi positionne Datacheck comme un pureplayer de vérification de faits. Il est donc essentiellement consacré à la vérification de faits pour lutter contre la désinformation.

La création de plateformes de vérification de faits concerne également des secteurs spécialisés. La pandémie de Covid-19 a été un catalyseur en ce sens. C’est tout cas dans cette période que Yohedahealth prend une autre tournure. Littéralement « Youth for Health and Development of Africa », Yoheda est créé en 2018 et prend une nouvelle tournure avec la vague de fake news qui se propagent en période de Covid-19. Aujourd’hui, le site assoit sa notoriété dans le domaine de la vérification des faits en santé et propose de nombreuses ressources pour ne pas tomber dans le piège du faux.

Initiatives citoyennes d’éducation

La désinformation passe également par la formation à la base. Au Cameroun, des organisations de la société civile constituées de journalistes, d’enseignants et d’autres corporations se mettent ensemble depuis quelques années pour proposer des ressources de formation ou des campagnes pour outiller le grand public aux réflexes essentiels. Parce que la survie de l’éducation aux médias et à l’information (EMI) devient plus qu’une nécessité dans un environnement en proie aux rumeurs, aux fausses informations et aux manipulations diverses.

Eduk-Média : à l’avant-garde de la sensibilisation

En la matière, « Eduk-média » fait figure de proue dans le pays. Créée en 2016, l’association entame officiellement ses activités cinq ans plus tard. « L’association Eduk-Média est officiellement active au Cameroun depuis 2021, mais a débuté ses activités en 2016. Avec un noyau d’enseignants, de journalistes et de jeunes engagés dans la promotion de l’éducation aux médias et à l’information (EMI). Nous avons démarré nos premières activités pilotes dès 2019 avec la célébration de la Semaine mondiale d’EMI, avec le soutien du Bureau régional l’Organisation des Nations unies pour la science, l’éducation et la culture (Unesco) pour l’Afrique centrale », relève Fabrice Makem, secrétaire général de cette association. Concrètement, Eduk-média travaille à travers quatre axes majeurs : des formations d’enseignants, d’encadreurs de jeunes, de journalistes, de leaders d’organisations, d’élèves et de parents sur l’esprit critique, la détection des fausses informations; les campagnes de sensibilisation; la production de ressources pédagogiques et des guides pratiques adaptés au contexte camerounais; et enfin, l’accompagnement et le plaidoyer pour l’intégration de l’EMI dans les programmes éducatifs.

En termes de résultats, Eduk-Média semble avoir de l’impact. « Plus de 1500 élèves et étudiants leaders ont été formés directement lors d’ateliers de formation. Environ 200 enseignants et éducateurs de jeunes ont été formés et sensibilisés à l’intégration de l’EMI dans leurs pratiques pédagogiques. De même, plus de 20 000 jeunes ont été sensibilisés aux dangers de la désinformation et des discours de haine en ligne », relève Fabrice Makem, SG d’Eduk-Média. Pareil pour l’organisation de caravanes EMI237, la production de près de 30 ressources pédagogiques à destination de plus de 10 000 jeunes en ligne, ainsi que la création et l’accompagnement de plusieurs clubs EMI dans des institutions universitaires.

DefyHateNow: Moule à fact-checkeurs

Connue pour le réseau de professionnels du fact-checking qu’elle met sur pied depuis bientôt cinq ans, l’initiative DefyHateNow (DHN) contribue depuis 2020 à sensibiliser et outiller des professionnels des médias et des contenus en ligne sur la lutte contre la désinformation. Le programme Africa Fact-checking Fellowship (#AFFCameroon) a déjà formé dix cohortes de fact-checkeurs à ce jour. “Le but est de promouvoir la vérification des faits, le journalisme de données et les droits numériques chez les journalistes, les blogueurs et les créateurs de contenu en Afrique. Ce programme de trois mois vise à fournir aux boursiers les compétences et les outils nécessaires pour relever les défis actuels de la désinformation au sein de leurs communautés”, souligne Donald Tchiengue, coordonnateur de cette initiative.  Par ses actions, DHN promeut l’éducation aux médias et à l’information, ainsi que la vérification des faits. Les articles rédigés dans le cadre de cette bourse ont ainsi été publiés sur la plateforme 237check.  “La formation trimestrielle baptisée #FactsMatter237 et mise en œuvre au Cameroun par une organisation dirigée par des jeunes, Civic Watch, a jusqu’à présent formé plus de 250 journalistes, blogueurs, créateurs de contenu, leaders communautaires et activistes des droits numériques dans le cadre de ce programme”, ajoute le coordonnateur de l’initiative. Et ils ne comptent pas s’arrêter. Etant donné qu’un bon nombre de bénéficiaires de ce programme ont mis sur pied de nouvelles plateformes de fact-checking qui contribuent à accroître cette lutte.

Ôde à l’EMI

A travers diverses plateformes investies, des initiatives d’éducation aux médias et à l’information visent aussi à sensibiliser le grand public et les catégories précises. Depuis 2020, le Cameroun vit une effervescence de projets allant dans ce sens. C’est le cas avec l’Association pour l’éducation à la citoyenneté numérique connue sous le nom de DigiEduCivic qui a créé une plateforme de sensibilisation à l’EMI depuis 2021 et qui promeut la citoyenneté numérique. La même organisation a mis sur pied KubaaruCheck, plateforme dédiée au fact-checking en 2025. Dans le même segment, il y a l’association ClassPro, davantage visible sur les plateformes sociales Facebook et X (Twitter). Dans le même sillage, l’organisation à but non lucratif, Ejuci, travaille depuis 2022 à sensibiliser les jeunes sur l’utilisation citoyenne et responsable d’internet afin de lutter contre les intox, les discours de haine et les contenus illicites sur Internet.

Initiatives institutionnelles

Au niveau institutionnel, certaines instances étatiques travaillent à promouvoir la lutte contre la désinformation à leur niveau. Chacune à son niveau instaure des cadres pour limiter les dérives entraînées par ce phénomène et ne manque pas de sensibiliser les acteurs sur le terrain. 

Assemblée nationale

Chambre basse du Parlement, l’Assemblée nationale  est l’instance même qui vote les lois du pays. A ce jour, il n’existe pas un texte de loi précis sur la lutte contre la désinformation. Toutefois, des dispositions contenues dans certains textes de loi punissent les actes de diffusion et propagation de fausses nouvelles. Au rang des textes majeurs dans ce sens, il y a d’abord le Code pénal avec son article 113 qui dispose: « Est puni d’un emprisonnement de trois (3) mois à trois (3) ans et d’une amende de cent mille (100.000) à deux millions (2.000.000) de francs, celui qui émet ou propage des nouvelles mensongères, lorsque ces nouvelles sont susceptibles de nuire aux autorités publiques ou à la cohésion nationale. » Autres textes juridiques, la loi du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et à la cybercriminalité au Cameroun , ainsi que la loi du 20 avril 2015 régissant l’activité audiovisuelle au Cameroun.

Conseil national de la communication (CNC)

L’instance de régulation des médias au Cameroun se positionne en veilleur et en instance de sensibilisation des professionnels de médias en tout temps. La lutte contre la désinformation constitue donc une des activités majeures du Conseil national de la Communication. Elle organise ainsi des ateliers de formation, des campagnes de sensibilisation sur divers thèmes. Il y a aussi le volet répressif de ses actions pour lequel il inflige des sanctions aux journalistes ou aux médias poursuivis pour différents faits. Les sanctions infligées ont de l’avertissement à la fermeture définitive du média, en passant la suspension pour une période donnée. Cela a permis à de nombreux professionnels de se raviser et d’être plus attentifs à ce qui était partagé sur leurs ondes, leurs antennes ou dans leurs journaux.

Agence nationale des technologies de l’information et de la communication (ANTIC)

Mise sur pied par décret du 10 avril 2012, l’Agence nationale des Technologies de l’information et de la communication œuvre à la promotion et au suivi de l’action des pouvoirs publics en matière de technologies de l’information et de la communication (TIC). Tel que défini dans ses missions organiques, l’ANTIC travaille également à la régulation, au contrôle et au suivi des activités liées à la sécurité des systèmes d’information et des réseaux de communications électroniques, ainsi qu’à la certification électronique, en collaboration avec l’Agence de régulation des Télécommunications (ART) du Cameroun). Avec l’intervention de l’ANTIC, il est désormais possible au Cameroun de savoir d’où partent certaines actions en ligne et d’arrêter, voire amoindrir leurs effets.

Alexandra TCHUILEU N.

Cette publication WanaData a été soutenue par Code for Africa et la Digital Democracy Initiative dans le cadre du projet Digitalise Youth, financé par le Partenariat européen pour la Démocratie (EPD).

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